Une fois de plus, je m’interroge sur notre inertie politique. Pourquoi la récurrence des événements climatiques extrêmes ne renforce pas bien davantage la conscience écologique ? Sécheresses, avancée des déserts, inondations gigantesques, terribles incendies, ouragans dévastateurs… nous en faut-il davantage encore ?
Pourquoi l'apathie ?
Une fois de plus, je m’interroge sur notre inertie politique.
Pourquoi la récurrence des événements climatiques extrêmes ne renforce pas bien davantage la conscience écologique ? Sécheresses, avancée des déserts, inondations gigantesques, terribles incendies, ouragans dévastateurs… nous en faut-il davantage encore ?
De la même façon, pourquoi le comportement outrancier de certains hauts dirigeants (sont-ils sous ecstasy?), ne provoque pas des soulèvements d’indignation populaire ? Du côté des États-Unis, salut hitlérien, déclarations absurdes menaçant un équilibre mondial déjà précaire, prétentions au partage des territoires à la manière mafieuse. En Russie, conversation à coup de guerres et de meurtres. En Israël une « résolution des conflits » par le génocide. Et pour la France, des élections ouvertement suivies d’un déni de démocratie stupéfiant. Il ne s'agit là que d'un échantillon.
Ces dirigeants ont un point commun : la conviction que leur existence ne rimerait à rien sans continuellement prétendre à la toute puissance. Que nous faut-il de plus pour réagir ?
Je m’interroge aussi personnellement : pourquoi, alors même que je me sens concerné par une situation généralement très inquiétante, le débat politique m’épuise-t-il ? Pourquoi, alors même que je reste convaincu de la nécessité d’agir aux niveaux local et global, et qu'en attendant une démocratie directe, nous avons besoin de représentants politiques ambitieux, éclairés et enthousiastes, pourquoi l’arène des élus et des médias me révulse-t-elle, me dégoûte-t-elle ou m’ennuie-t-elle ?
Pourquoi suis-je touché, comme beaucoup, par cette épidémie de désinvestissement massif, au moment même où des idéologies fascistes qu’on croyait moribondes gagnent chaque jour en vigueur, dans une expression décomplexée, comme si la haine sordide était devenue soudainement fun ? Et, au moment où nous devrions toutes et tous nous engager pour prendre un virage écologique particulièrement serré ?
La fin et les moyens
Parmi le probable écheveau de réponses tissées les unes dans les autres, il en est une qui me touche plus qu’une autre : il est coutumier de considérer que la fin justifie les moyens. C'est ainsi qu'on justifie les engrais et pesticides chimiques comme les OGM en pleins champs : les exploitants agricoles ont la noble mission de nourrir l'humanité. Lorsqu'un gouvernement repousse l'âge de la retraite, affaiblit la sécurité sociale, l'hôpital public et plus généralement le service public au moment où les fortunes explosent, lorsqu'il revoit à la baisse les normes environnementales alors que chacun sait qu'il faudrait faire l'inverse, on pourrait avoir l'impression d'une énorme agression visant la grande majorité des gens, visant la planète même … on hésite entre la cupidité, le sadisme, l'incompétence ou la pure folie. Heureusement, les invités des plateaux télés nous rassurent en rappelant à nos esprits quelque peu embués que … la fin justifie les moyens. C'est le fameux en même temps dont il s'agit de saisir la finesse : offrir des cadeaux fiscaux aux milliardaires tout en stigmatisant et affaiblissant encore les plus fragiles, organiser des élections tout en niant ses résultats, empoisonner la terre tout en rappelant que la COP de Paris, c'était quand-même super.
Dans les débats médiatisés, cela nous est expliqué avec le sourire, très gentiment. Et si cette bienveillance ne suffit pas à tous les participants, on entre dans une saine et nécessaire colère pour rétablir l'ordre. Le message adressé aux auditeurs radio ou téléspectateurs est assez simple : voyez, il y a les gentils qui décident pour vous, ils sont du côté de la paix et de la prospérité et il y a les révolutionnaires, les frustrés qui provoquent sempiternellement des conflits et ne peuvent apporter que le chaos.
J'ai, au contraire, de plus en plus le sentiment que la fin dépend des moyens qu’on se donne pour avancer. C’est là, dans les moyens, qu’advient quelque chose de décisif.
Je crois que ceux qu’on se donne pour parvenir à nos fins donnent une idée assez claire du résultat qu’on peut escompter si les forces en jeu parviennent à jouer en notre faveur.
Or, les moyens traditionnels qui semblent à notre disposition pour faire politique ne stimulent pas mon désir. Accorder à ce point notre confiance dans le débat politique tel qu’il est mené dans nos pays me paraît très insuffisant. C’est d’ailleurs, j'imagine, l'une des causes qui détournent les populations de cette politique.
Les médias
À ce phénomène s'ajoute le fonctionnement de nos médias.
Est-ce que les journaux radios ou télévisés ne se donnent pas souvent comme objectif prioritaire d’orchestrer des spectacles ? Le phénomène semble encore plus accentué sur les réseaux sociaux. Bien entendu, la scène politique ni échappe pas.
Je ne suis pas opposé au divertissement en lui-même, mais transformer le monde en récit avec ses intrigues, ses rebondissements et ses chutes, réduire la chatoyante vie terrestre, vaste et complexe, à l’étroitesse du théâtre humain, avec ses rings, ses projecteurs et ses chauffeurs de salle a quelque chose d’affligeant et de sordide. Déformer les enjeux politiques n'a rien d'anodin.
On ne peut oublier aussi que divertir est bien pratique pour détourner notre attention de l’urgence écologique et sociale, l’urgence d’une équité à l’échelle planétaire.
Dans ce jeu des médias, que des chefs d’États ou des ministres mentent comme des arracheurs de dents sans qu’aucun interlocuteur, aucun journaliste ne les rappelle au réel est plus que préoccupant. Ce qui est plus grave encore est qu'on finisse par s’en accommoder.
On s’habitue peut-être de la même manière à éprouver des difficultés remarquables pour différencier certains d’entre eux du grand banditisme. Ou à se demander comment des individus aussi visiblement schizophrènes ou pervers restent aux plus hautes sphères du pouvoir. En a-t-il toujours été ainsi, du moins depuis que chacun s’est convaincu de la nécessité d’être « dirigé » ou le phénomène s'aggrave-t-il particulièrement ?
Écouter d’habiles et sincères orateurs et oratrices peut m’enthousiasmer, mais assister à ces interviews pipés, ces faux débats ou ces combats encagés, où tous les coups, bas et hauts, sont permis et où le bien-pensant du moment tient lieu d’arbitrage m’agace et finit par m’épuiser. Comment font ces militantes et militants régulièrement piégés sur des plateaux télés qui empestent le parti-pris, avec des interlocuteurs sans écoute, rodés à écraser le grain du réel, à lisser toute complexité, à dénier ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre et à réciter, comme une évidence, la fable du jour, celle qui aurait fait bondir un ou deux ans plus tôt, mais qu’ils saisissent comme « ce qu’il faut affirmer aujourd’hui pour rester dans le coup » ?
L'agora et l'arbre à palabre
Pour se défendre de ce type de critique, nos démocraties représentatives font régulièrement référence à l’agora grecque. Alors, on songe à ce qu'on nous a raconté de la grandeur de son théâtre et de sa mythologie pour se dire que, tout compte fait... c'est pas si mal. Si d'un côté on peut s'estimer heureux de n'être pas sous le joug d'un dictateur, d'un autre on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeufs.
Allez raconter aux individus victimes de plans sociaux, de politique migratoire ou de guerre que ce sont eux les œufs, je ne suis pas sûr qu'ils apprécient.
Menus rappels de nos origines culturelles
En réalité, pour le peu que j'en sais1, le système politique de la Grèce antique - que nous allons chercher quand cela nous arrange - est assez éloigné du nôtre. Bien-sûr tous les citoyens d'Athènes, riches ou pauvres participaient aux décisions publiques. C'est beau.
Mais ce groupe bigarré de citoyens était en réalité un cercle assez fermé et très minoritaire (environ 10 % de la population du territoire) n'acceptant ni les femmes, les enfants, les étrangers ou les esclaves.
Par contre cette démocratie était loin d'avoir les mêmes égards que nous pour les représentants du peuple qui, eux, risquaient gros..
L’ensemble des citoyens était convoqué une quarantaine de fois par année, pour former une assemblée populaire. Les citoyens pouvaient y prendre la parole et y votaient, à main levée ou parfois par bulletins secrets, toutes les décisions touchant la vie dans la cité, que ce soit la construction d’un temple, l’augmentation des impôts ou la déclaration d’une guerre.
Si on craignait que les ambitions personnelles d'un citoyen pouvait mener à la tyrannie, l’assemblée avait aussi le pouvoir d’ostracisme, c’est-à-dire celui de voter pour le bannir d’Athènes, pendant dix ans. C'est curieux non, qu'on ait eu ces idées il y a plus de deux mille ans et qu'aujourd'hui on ne sache pas quoi faire pour contrer la grande et jolie famille des Bezos, Trump, Poutine et Bolsonaro que le petit dernier Jordan B. aimerait bien rejoindre ?
Pour exécuter les décisions prises par l’assemblée populaire on faisait appel aux magistrats publics. Et si les citoyens considéraient que l'un d'entre eux avait pris de mauvaises décisions – je ne parle même pas d'actes hors la loi - on lui disait fermement en le regardant bien au fond des yeux « vous devez bien prendre conscience de la gravité des faits. Pour vous y aider vous allez porter un bracelet électronique, pendant, disons, un an ». Voilà. Non mais !
Je plaisante. Ils pouvaient se retrouver condamnés à mort. Par l'assemblée populaire.
Peut-être pourrions-nous, sans en arriver à cette extrémité, trouver un juste milieu entre cette façon de faire et la nôtre. Ce n'est qu'une suggestion. Mais, ces précisions étant faites et malgré tout le respect et l'amitié que j'ai pour les grecs actuels et passés, c’est plutôt sous l’arbre à palabres que j’aimerais que nous allions. Un arbre qui inviterait à la parole, à l’écoute et, tout autant, au silence. C’est-à-dire à la présence. La présence à ce qui se dit, à ce qui se vit, à ce que cela provoque en nous et au parfum du monde autour de nous. À sa douleur et à sa joie.
Danser avec le vent Aquarelle sur papier, 14,8/21 cm, Mars 2025
Avant de trouver un arbre qui nous convient, ce qui peut être long, inviter des personnes faisant le métier de femmes de ménage au parlement comme l’avait mis en scène Gilles Perret et François Ruffin avec Debout les femmes ! 2 serait un premier pas. Avec leur humanité, leur beauté, leur intelligence, leurs bonheurs et leurs souffrances. Pour que les députés qui ont perdu ces qualités retrouvent le goût de la vie réelle. Ou le découvrent enfin. Pour provoquer une mutation inespérée dans leurs synapses.
La parole comme prise de pouvoir ou comme présence à la vie
En matière politique, la rhétorique est devenue un des principaux moyens pour parvenir à se faire se faire élire (les autres moyens étant, je crois, le contrôle de l’information, la pression économique et la violence). Il s’agit donc de persuader, de manipuler, de démontrer, d’être performant.
Mais, que dit l’habilité du rhéteur sur son niveau de conscience, ou plus modestement sur sa simple santé psychique ? Que dit-elle de son humanité et de sa clairvoyance ? De son expérience ?
Dans quelle mesure la performance des communicants a-t-elle quelque chose à voir avec la justesse ?
L’exercice de la parole a le pouvoir de nous éloigner ou de nous rapprocher du réel. Ne devrions-nous pas mieux estimer le pouvoir des mots - ceux que nous prononçons autant que ceux que nous entendons ?
S’ils peuvent nous rendre plus présents à nos existences et au monde, quand ils sont justes, n'ont-ils pas aussi la capacité de nous éloigner du réel, de le distordre, de le mettre à distance pour nous plonger dans des fictions séduisantes ou terrifiantes auxquelles nous succombons facilement, comme dans un envoûtement ?
En ce qui concerne l’usage de la parole comme moyen démocratique, peut-être faut-il rappeler aussi les limites du vote.
Lorsqu’un candidat mafieux se présente aux élections ou lorsqu’il propose une loi, ce moyen l'invite à la performance : un sang-froid, une aisance, répétons-le, à justifier, à argumenter, à mémoriser, une virtuosité à jouer sur les émotions, à déstabiliser, à réagir rapidement. Et accessoirement à savoir s'assoir du côté de celles et ceux à qui on pose des questions sympas. Jusqu’à surprivilégier ces qualités.
Tandis que si les décisions collectives sont prises par recherche du consensus en assemblée ouverte à toutes et tous, le silence a sa place, l’écoute a sa place, l’humanité a sa place. Celle où celui qui sait se montrer habile en séduction verbale sera vite reconnu avec ces caractéristiques. D’autres personnes pourront lui dire « quand on t’écoute, on a toujours l’impression que tu as raison, mais une fois rentrés chez nous, il nous arrive de réaliser qu’on n’est plus du tout d’accord. Je demande donc encore quelques jours de réflexion, de vérifications et d’échanges informels avant que nous prenions une décision ». Ce moyen (rechercher le consensus) n’a rien de magique mais lorsque tout le monde s'y exerce, quand tout le monde est véritablement invité à l’échange sans jugement, autant celle ou celui qui maîtrise mal la langue dominante que l’avocat, alors chacun a la possibilité de tenir sa part. Chacun peut sentir progressivement, qu’il ou elle a sa place, tout autant que les autres, pour la simple raison qu’on s’entretient ici de notre devenir commun. On apprend collectivement à parler en s'écoutant, c'est-à-dire en étant présent à soi et à l’autre et pas seulement dans le désir de convaincre.
Ensemble avec le vent Aquarelle sur papier, 14,8/21 cm, Mars 2025
Si on essayait la démocratie (pour de vrai) ?
Est-ce que la politique, c’est-à-dire le devenir des humains ne gagnerait pas en hauteur et densité en la ré-insufflant de présence ?
Parce qu'il faut être bien absent à sa propre humanité, bien absent à celle des autres et à l’incompréhensible beauté de cette terre pour jouer aveuglément avec la vie, comme le font autant de décideurs.
La touche « pause » ne leur manque-t-elle pas ? Depuis quand ont-ils quitté l’existence vitale qui est là sous leurs yeux et au bout de leurs doigts ?
Ne retrouverions-nous pas confiance en cette politique - étymologiquement la vie de la cité, c’est-à-dire la vie des gens, une fois qu’ils deviennent nombreux - s’il arrivait un jour où députés et sénateurs s’interrompaient dans un long silence devant l’émerveillement d’une éclaircie soudaine ? S'ils partaient d'un rire commun à l'arrivée du printemps ? L'humanité ne se porterait-elle pas mieux s'ils percevaient profondément ce que le petit peuple leur apporte ? La santé de notre biosphère ne trouverait-elle pas plus de chance pour se régénérer s'ils se mettaient à se réjouir devant quelques flocons de neige ? Ne respirerions-nous pas mieux s’ils reconnaissaient enfin leur propre enfance, leur vulnérabilité et celle des autres ? S'ils découvraient ou redécouvraient le sentiment d'accord avec soi, avec l'autre et avec la vie, qui peut naître de cette rencontre ? Et s’ils parvenaient à vivre avec leur besoin d’amour ?
C’est-à-dire pour le dire autrement, s’ils touchaient à nouveau terre ?
Puisqu’ils n’y arriveront probablement pas seuls, ne devrions-nous pas nous entraider et nous entraîner à cultiver la dimension sacrée et réjouissante de la présence intime à soi, à l’autre et plus largement au monde ? N’est-ce pas à nous à la réintroduire avec audace dans toutes les sphères du politique ?
N’est-ce pas à nous, les simples vivants, à donner l’exemple ?
*
Après tant de nuits sous les nuages
Les voici revenues
Les étoiles !
*
Sources :
1 Entre autres sources j’ai consulté ce site de l’Assemblée Nationale du Québec qui m'a paru très clair et dont je remercie l’auteur :
2 Debout les femmes ! Un road Movie parlementaire, Film de Gilles Perret et François Ruffin, 2021