L’âge d’être en vie

J’aimerais partager avec vous une brève réflexion sur les différents âges de la vie. Que se passe-t-il à chaque nouvelle année ? Passons-nous véritablement d’une identité à une autre à chaque rentrée de septembre comme à chaque anniversaire ?

L’élan du monde
4 min ⋅ 02/09/2025

Ou ce type de changement se produit-il, au début de chaque existence plutôt tous les six mois, puis chaque année, puis toutes les décennies ?

C’est ce que les enfants semblent prétendre lorsqu’ils affirment haut et fort « je ne suis plus un petit » ou lorsque devenus adultes ils diront « on n’est plus tout jeunes ».

Mais, si à un certain niveau, tout cela est vrai, ces représentations de soi ne sont-elles pas profondément insuffisantes et d’une certaine façon illusoires ?

Ne devenons-nous pas plutôt une pluralité toujours plus riche ? L’enfant de neuf ans n’est-il plus du tout cette petite fille ou ce petit garçon qui se réjouit de parvenir enfin à marcher ? L’adolescent a-t-il tout perdu de l’enfance ? La personne âgée n’a-t-elle plus rien de la jeunesse ? N’avons-nous jamais connu des femmes ou des hommes pétillant d’enfance même lorsque les clichés et les esprits réducteurs voudraient l’assigner au rôle de vieillard quelque peu sénile ?

Comme tout le monde, je fus un bébé. Puis de l’enfance, je suis passé à l’adolescence pour arriver à l’âge adulte. Ou plus précisément aux différents âges de la période adulte.

C’est une façon de voir nos existences, mais les ressentons-nous ainsi ?

Dans mon cas, je dirais plutôt que le nourrisson que je fus est toujours là. Je fus un petit enfant et je suis encore un petit enfant.

La plupart du temps, je me considère tout simplement comme un adulte mais, au fond, il me semble que je suis aujourd’hui à la fois ce nourrisson, cet enfant, cet adolescent, ce jeune qui désire se lancer dans sa vie et cet adulte qui tente, vaille que vaille, de composer avec ses limites et ses contradictions. Chemin faisant, même si je ne parviens pas toujours à arriver là où se porte mon désir, je ressens ces diverses expériences comme une chance. Une chance pleine de cette pluralité en moi.

Nous toutes et tous n’écrivons-nous pas le monde ?

Aquarelle sur papier, 42/29,7 cm, Juillet 2025


Je n’éprouve, je crois, aucune nostalgie. J’ai cherché à être en accord avec la vie, je cherche encore cet accord et cet état de recherche me comble. Une différence importante entre mon présent et mon enfance, c’est qu’aujourd’hui, je suis constitué de cette expérience et de ces différents âges.

Même l’ignorance et le manque d’expérience propre à l’enfance m’intéressent et me semblent précieux. Je ne vois vraiment pas pourquoi je devrais m’en séparer. La nudité et la grande vulnérabilité du tout petit me sont essentielles. Je suis particulièrement heureux de les porter, de les sentir, en moi.

Il est probable que certaines perceptions, pensées et émotions, qui m’habitaient particulièrement à certaines époques de ma vie, ont moins d’importance aujourd’hui. Mais je me sens toujours habité par la complexité aussi banale qu’étonnante de cette suite d’états différents qui se sont emparés de ma personne pour la métamorphoser tout en maintenant son unité.

Ressentir ces différents âge en moi, ressentir, si je puis dire, ces différents moi me procure un sentiment de paix et de liberté.

Nous faisons partie du cosmos Aquarelle sur papier, 42/29,7 cm, Juillet 2025

Je trouve regrettable qu’on accorde tant de foi aux caricatures que nous faisons des différents âges.

Comment supportons-nous ces grotesques définitions des différents périodes de la vie ? Comment acceptons-nous quelles se retrouvent ainsi figées ?

On fabrique des catégories et le capitalisme qui nous tient lieu de culture ne s’en prive pas : les 15 - 25 ans qui ne pensent qu’à s’amuser, les 20 - 35 ans qui manquent d’expérience professionnelle, les plus de 50 ans qui risquent d’en avoir trop, les seniors qui sont un poids pour l’économie, etc. On joue à les mettre en concurrence et chacune - chacun se retrouve la plupart du temps coincés dans une tranche aussi exigeante que stérile.

Je crois que nous sommes beaucoup plus riches que cela. Les différents âges que nous portons sur nos visages, dans nos corps, dans nos cœurs et nos esprits sont, il me semble, des potentialités. Évidemment, c’est plus facile à imaginer ou à sentir lorsque tout va bien, que nous bénéficions de soins nous permettant de ne pas trop souffrir, de remplacer nos dents tombées par des implants, nos genoux fatigués par des prothèses et notre fatigue par de la vitamine C. Je ne prétends pas me réjouir de mes rides. Je ne veux pas nier la douleur. Ni notre incompréhension chargée d’effroi devant celle-ci. Même si l’effroi existe aussi pour le petit enfant, ne l’oublions pas.

C’est peut-être d’ailleurs cela qui m’importe : ne pas oublier l’enfant que j’étais. L’entendre quand il me dit combien il a mal, ou lorsqu’il s’émerveille, le laisser s’exprimer aussi lorsqu’il invente, lorsqu’il crée, lorsqu’il apporte avec ses toutes petites mains des choses qui n’existaient pas encore dans notre monde. J’aime entretenir ce lien, un lien vivant entre mes différents âges, un lien d’amour.

Loin de m’enfermer dans le nombrilisme, poursuivre le dialogue avec mon passé me procure un sentiment de liberté. De plus grande acuité. Et, cela peut paraître curieux, de plus grande présence.

N’est-ce pas un très beau paradoxe ?

Ne sommes-nous pas, chacune et chacun, des pluralités chatoyantes ?

Et ne serait-ce pas merveilleux de tisser entre nous, nous humains et autres qu’humains, des pluralités de pluralités, comme une immense biodiversité ?

Qu’en pensez-vous ?

Je suis curieux de vos sentiment à ce sujet. N’hésitez pas à m’en faire part, si l’envie vous en venait, à l’adresse olivierbelot@caramail.fr


Avant de nous séparer, je vous propose un micro-poème récent :


*


Grand buisson d’altéa 

dans le jardin de mes parents


Sans savoir pourquoi, je pense à l’océan


*



Je souhaite à vos pluralités grandissantes un bon mois de septembre.

À bientôt.

Olivier 



L’élan du monde

Par Olivier Belot

Après avoir étudié aux Beaux-arts de Nancy, j’ai exposé en France, en Allemagne, en Pologne, au Luxembourg et aux États-Unis. Néanmoins, je crois être un artiste discret, qui comme beaucoup de plasticiens, use de l’art comme d’un objet transitionnel permettant de partager ponctuellement ce qui s’élabore longuement dans un certain retrait du monde. En complémentarité avec cette relative solitude, je développe avec d’autres personnes - souvent militantes et créatrices - des dispositifs de rencontre et de recherche collective autour des nécessaires transitions ou mutations écologiques et solidaires. Le Café Itinérant de la Transition, créé au sein de son collectif, dans le département de la Meuse en est une manifestation. Enfin, j’anime avec Béatrice Belot Le Deley le singulier Atelier des Prés qui ouvre chacun.e à l’expression créatrice. Cet atelier est situé dans le village de Pareid en Meuse. Écrivant autant que je dessine, le format de la lettre me permet de donner plus régulièrement des aperçus de mon travail. Instagram : _olivierbelot_

Instagram de l’Atelier des Prés : latelierdespres

Blog : https://olivierbelot.jimdofree.com/

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