Vacance(s)

Cultiver la disponibilité

L’élan du monde
3 min ⋅ 02/08/2023

Ne trouvez-vous pas qu’il y a, dans l’expression « prendre des vacances », quelque chose d’étrange ?

Pour m’éclairer, j’ai consulté plusieurs dictionnaires. L’un d’eux suggère que le mot vacancevient de vacant : « absent » ou « oisif » quand le mot est au pluriel, « libre » ou « vide » quand il est au singulier. Un autre précise que vacare signifie « être vide », d’où « être vacant, libre », puis « avoir du temps pour ».

Ces repères ne m’avancent pas beaucoup. Comment en est-on venu à mettre au pluriel la vacance ? Et comment peut-on donc la prendre ? Se saisit-on du vide ?

Quand nous nous souhaitons chaleureusement de bonnes vacances, quand je le fais moi-même, l’expression me paraît aussi joyeusement énigmatique : « Heureux vide ! », « Bonne vacuité, mon ami ! »

Autant le dire tout de suite, cette lettre laissera ce mystère entier.


Pour moi, vacance est synonyme de disponibilité. C’est un espace où il y a de l’espace, beaucoup, beaucoup d’espace. Et un moment où il y a du temps, beaucoup de temps, heureux, stimulant, avec quelque chose, comme la douceur du sourire et l’excitation possible du rire.

Non seulement notre degré de disponibilité aux nécessités pratiques de l’existence, mais à sa profondeur, à ce que le chercheur Edgar Morin appelle « la vraie vie ».

« La prose, dit-il, ce sont les nécessités, les obligations auxquelles nous devons faire face, et qui, évidemment, ne nous intéressent guère, mais qu’il faut effectuer pour survivre. La poésie, en revanche, c’est la vraie vie, c’est-à-dire tout ce qui nous apporte intensité, émotion, jouissance. »


D’où, pourrait-on conclure, la nécessité des vacances et plus largement du temps libre.


Mais l’idéal ne serait-il pas de rompre avec cette fragmentation de nos existences entre obligations et liberté ? Pourquoi ce qu’il faut effectuer pour survivre devrait-il être nécessairement inintéressant ?

Ne pourrions-nous tendre vers la réintroduction de la poésie, de la jouissance, du sens profond, de la vitalité première, de l’attention ouverte, de la gratuité, du jeu, de l’empathie, de l’amour dans le travail lui-même, ou plus largement, dans ce qui relève selon nous des nécessités incontournables ?


Nous avons appris à mettre de côté nos émotions, nos sensations, nos sentiments pour affronter les difficultés de la vie et devenir adulte. Nous avons appris à raisonner de cette manière et nous sommes devenus capables de vivre en séparant les moments où il s’agit d’être efficace et ceux où on peut « profiter de la vie ».

Comme tout-un-chacun je me suis soumis à cette discipline et j’en ai retiré des bénéfices. Et des inconvénients : raisonner ainsi (et seulement ainsi) nécessite de cesser de résonner. Il y aurait un temps pour réfléchir et agir en prenant ses responsabilités - l’âge adulte - et un temps pour s’amuser - l’enfance ou les vacances. Un temps pour être dans le raisonnement et un temps pour être dans la résonance, la vibration, la sensibilité.

Sans doute les choses sont-elles plus nuancées.

Chercher l’entente reste-t-il tabou ? 29,7 / 42 cm, Juillet 2023Chercher l’entente reste-t-il tabou ? 29,7 / 42 cm, Juillet 2023

L’art, par exemple, ferait partie de ce temps du jeu, ce temps de l’enfance et du tout sensible.

Mais, de mon point de vue, si l’art a en effet besoin du jeu de l’enfance c’est en quittant cette dualité : il ne s’agit plus d’opposer sérieux et plaisir, jeu et travail. La résonance n’exclut pas le raisonnement, il l’élargit. Dans cet attitude, ce que nous dit notre corps, nos émotions et nos sentiments ne perturbent pas notre sens des responsabilités mais le nourrit.

C’est là, je crois, où nous avons besoin d’un peu de vide, c’est-à-dire de disponibilité à nous-mêmes. Pour nous permettre d’entendre notre corps, nos inquiétudes, nos peurs, nos hontes, nos colères, nos désirs, nos besoins, nos plaisirs et déplaisirs … Cette forme d’attention ouverte offre la possibilité d’une autre relation à la vie.

Développer notre attention à ce qui est, écouter l’autre, la pluie, ce qui se passe autour de nous, en nous et en l’autre, nous rend plus vivant.

Probablement perd-on en efficacité sur le court terme mais on gagne en plénitude. On développe une sorte de vacance-plénitude.


Je ressens profondément le besoin de temps libre, de vacance, de disponibilité à l’ouvert. Comme de très nombreuses personnes, mon existence passe de moments contraignants à d’autres moments où je souffle. Mais, le souffle, lui, nous traverse tout le temps, tant que nous sommes en vie.


Dans le contexte du capitalisme finissant, les existences sont saturées par l’idéologie de la croissance et du profit. Tout, absolument tout, se doit d’être rentabilisé, comparé, optimisé, comptabilisé : le travail certes mais aussi la part la plus intime de nos vies. Tout entre dans la Grande Compétition. Il en résulte une saturation. Même les vacances se doivent d’être rentabilisées avec preuves à l’appui, photographies et vidéos sur les réseaux sociaux : « Voyez, cette année nous avons fait tel pays, telle région, tel restaurant, tels musées ! ».


Je me demande si œuvrer pour garantir suffisamment de place au souffle, le nôtre et celui de la vie, suffisamment d’espace vacant, ne pourrait pas constituer une véritable révolution.


Je vous souhaite donc de largement profiter de vos vacances - si vous en avez. J’éprouve du plaisir à vous imaginer goûter à cet état de disponibilité.

Mais surtout, qu’on soit en vacances, au travail et en dehors de ces catégories, je trouve stimulant de cultiver l’attention à l’ouvert, de garder autant que possible un peu de jeu, un peu de joie, un peu de vide, un peu de vacance - et pourquoi pas beaucoup ? - dans nos existences.


C’est peut-être ainsi que la vie se déploie.


*


Un tout petit haïku, pour la route :


Soir d’été

j’entends un chat

roucouler


*


Merci pour votre lecture et à bientôt.

Olivier 

L’élan du monde

Par Olivier Belot

Après avoir étudié aux Beaux-arts de Nancy, j’ai exposé en France, en Allemagne, en Pologne, au Luxembourg et aux États-Unis. Néanmoins, je crois être un artiste discret, qui comme beaucoup de plasticiens, use de l’art comme d’un objet transitionnel permettant de partager ponctuellement ce qui s’élabore longuement dans un certain retrait du monde. En complémentarité avec cette relative solitude, je développe avec d’autres personnes - souvent militantes et créatrices - des dispositifs de rencontre et de recherche collective autour des nécessaires transitions ou mutations écologiques et solidaires. Le Café Itinérant de la Transition, créé au sein de son collectif, dans le département de la Meuse en est une manifestation. Enfin, j’anime avec Béatrice Belot Le Deley le singulier Atelier des Prés qui ouvre chacun.e à l’expression créatrice. Cet atelier est situé dans le village de Pareid en Meuse. Écrivant autant que je dessine, le format de la lettre me permet de donner plus régulièrement des aperçus de mon travail. Instagram : _olivierbelot_

Instagram de l’Atelier des Prés : latelierdespres

Blog : https://olivierbelot.jimdofree.com/

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